Le Roi du Salon (2)

2 - L'approche Horizontale

Rupert Murdoch est quelqu'un d'obstiné. Et l'obstination, il en a eu besoin pour créer News Corp, aujourd'hui géant des médias, hier petit journal d'Adélaide, Australie. Après avoir crée son groupe de communication (dont il possède 40%) en regroupant des chaînes de télévision (la chaîne américaine Fox), des journaux (Le Times de Londres) et des studios de cinéma (20th Century Fox), Rupert s'obstine à vouloir racheter DirecTV, plus grand opérateur satellite du monde avec près de 10 millions d'abonnés aux Etats-Unis. Son but ? Créer une plateforme mondiale de télévision, avec une couverture allant des Etats-Unis au Japon en passant par le Grande-Bretagne et la Chine. Il possède déjà des participations dans plusieurs opérateurs, notamment BskyB, n°1 au Royaume-Uni, Premiere en Allemagne ou Stream en Italie (En cours de fusion avec Tele+, filiale de Canal Plus). News Corp possède aussi Gemstar - TV Guide, qui édite des programmes interactifs (notamment un programme télévisé multi-plateformes)

La stratégie de Rupert Murdoch concernant la TV interactive est différente de celles de Vivendi et AOL ; au lieu de compléter son offre en terme de contenu, le magnat australien focalise ses efforts sur la constitution d'un réseau international d'opérateurs satellites. Et pour alimenter ses abonnés, il s'allie avec d'autres fournisseurs pour proposer leurs produits aux côtés des siens. Sa stratégie se rapproche de celle de DirecTV qui n'édite aucune chaîne et ne possède aucun contenu, se contentant de vendre des produits développés par d'autres à ses abonnés.

Le choix du satellite comme mode de distribution n'est pas surprenant ; beaucoup moins gourmand en capitaux que le câble, il autorise la couverture de larges territoires sans recours à un endettement massif ou à des alliances avec d'autres groupes. La passage à l'ère numérique permet de diffuser autant de canaux que sur le câble et de transmettre des volumes importants de données. Le principal problème est qu'il est impossible de remonter l'information depuis l'abonné vers le service sans l'emploi de grandes antennes paraboliques. Pour l'instant, pour que l'utilisateur puisse commander un film, répondre à un questionnaire, surfer sur Internet... il doit brancher son décodeur sur sa prise téléphonique, ce qui constitue un frein au développement de fonctions interactives innovantes.

Beaucoup de solutions peuvent être envisagées pour résoudre ce problème : inclure une antenne dans le décodeur pour profiter des réseaux de téléphone mobile déjà installés ; équiper les foyers de lignes ADSL afin de permettre une connexion permanente à Internet ; emprunter la Boucle Locale Radio, etc... La solution idéale consiste à utiliser une constellation de satellites en orbite basse permettant une communication bi-directionnelle haut débit avec l'abonné, le tout à l'aide d'une antenne d'une dizaine de centimètres seulement. De nombreux projets d'accès à Internet par satellite ont déjà vu le jour (Teledesic, Skybridge... ), mais le pari reste risqué et coûteux, il suppose la transmission de volumes importants de données entre l'abonné et le réseau pour justifier un tel déploiement. Bref, la réponse n'est pas évidente, mais gageons que M. Murdoch la trouvera s'il réussit à étendre son réseau et à équiper des dizaines, voire des centaines de millions de foyers à travers le monde.

Face au satellite, le numérique hertzien et le câble sont confrontés à leurs propres problèmes. Le premier n'offre lui aussi qu'une relation mono-directionnelle avec l'abonné, et son développement dépend du bon vouloir des pouvoirs publics. Le marché du second est encore très fragmenté et les opérateurs sont méfiants vis à vis des systèmes interactifs qui leurs sont proposés, préférant attendre l'émergence d'un standard. Pour preuve, le récent rejet par AT&T, 1er cablo-opérateur aux Etats-Unis, de la nouvelle "set top box" développée par Microsoft. Pourtant, il est vrai que le câble offre la solution idéale pour les projets de TV interactive, et à défaut de pouvoir constituer un opérateur global, certaines entreprises se focalisent sur le développement d'un standard technologique.

3- L'approche technologique

Bill Gates repart en guerre. Après être devenu le Roi du bureau, ou plus exactement du micro-ordinateur, il se croyait pourtant tranquille. Mais des projections pessimistes sur le futur de la micro-informatique lui ont fait craindre le pire : Que se passerait-il si le marché du PC arrivait à saturation ? Que les entreprises étaient toutes équipées ? Que les particuliers, après avoir passé une journée entière devant leurs claviers, préféraient le soir s'installer devant leurs télévisions, boudant l'ordinateur ? Qui en profiterait ? Les constructeurs de consoles de jeux, d'accès à Internet, les fabriquants de décodeurs, les câblo-opérateurs... mais pas Microsoft. Face à cela, une seule solution : la conquête du salon.

C'est en 1997-98 que cette nouvelle guerre a vraiment commencé avec le rachat de WebTV, pionnier de la console d'accès à Internet. Microsoft ne possédant aucun contenu ni aucun réseau de distribution (câble ou satellite), son approche a été purement technologique. Pour mener cette bataille, le groupe possède deux armes : ses équipes de développement et son trésor de guerre (près de 30 milliards de $ en 2001). En premier lieu, Bill Gates a décidé d'utiliser la tactique du "cheval de troie", l'invasion masquée du champ de bataille. Le rachat de WebTV devait permettre, en surfant sur la vague Internet, de prendre pied dans le salon en proposant un accès au Web à un coût réduit. Las ! La demande n'a pas été au rendez-vous, les consommateurs n'étaient pas prêt à payer $200 pour une machine permettant uniquement de surfer sur Internet, avec en plus un confort d'utilisation limité.

Un nouveau type de "set top box" est apparu en 1999 : le magnétoscope virtuel. Il s'agit ni plus ni moins d'un mini-ordinateur équipé d'un disque dur et d'un modem qui permet d'enregistrer des émissions, d'avoir accès à des fonctions interactives avancées en contactant le service central. Le pionnier de ce système est la jeune start-up Tivo, qui a conclut des accords de licences avec DirecTV, BskyB et Sony entre autres. Microsoft a contre-attaqué en lançant Ultimate TV qui propose des fonctionnalités similaires.

Mais surtout, Microsoft s'est intéressé au marché des consoles de jeux. De toutes les "set top box", ce sont les plus populaires : la Playstation de Sony s'est par exemple déjà vendu à plus de 70 millions d'exemplaires. Les consoles de nouvelle génération possèdent des capacités accrues, comme la Dreamcast de Sega, lancée en 1998 au Japon, qui offre l'accès à Internet pour surfer et pour jouer. Au début, Microsoft s'est contenté d'un partenariat avec Sega pour équiper la console d'une version limitée de Windows afin de faciliter la conversion de jeux PC au format Dreamcast. Mais lorsque Sony a affiché sa volonté de vendre sa Playstation 2 en tant que véritable centre multimédia, permettant de lire des DVD, de bénéficier d'une connexion haut débit à Internet (avec l'aide de AOL) et même d'être équipée d'un disque dur, Microsoft a senti le danger et a décidé de lancer sa propre console, la Xbox.

La Xbox représente pour Microsoft l'arme ultime dans sa lutte pour l'accès au trône du salon : c'est un véritable ordinateur, équipé d'un processeur Intel, d'un disque dur et d'un lecteur DVD ; il peut être relié à l'Internet à haut débit, et fonctionne avec une version allégée de Windows. Il s'agit de la tactique du Cheval de Troie poussée à l'extrême : le consommateur achète une console de jeux qui se révèle être pour Microsoft une formidable passerelle pour proposer des services variés, allant du magnétoscope virtuel à la WebTV en passant bien sûr par des programmes de TV interactive. Pourtant, sa proximité avec le PC est son principal point faible : les joueurs passionnés seront plus attirés par la PS2 de Sony, pure console de jeux disposant de titres renommés, plutôt que par la Xbox, dont les titres proposés se rapprocheront beaucoup des titres PC. De plus, Microsoft n'a aucune expérience de ce secteur, son entrée sur le marché de l'édition de jeux vidéo est récente ; Mais il peut faire jouer sa puissance financière et commerciale : la Xbox dispose d'un budget de lancement de 500 millions de $ uniquement pour les dépenses marketing.

En parallèle, Microsoft tente de créer un standard de fait ; la firme négocie avec des réseaux de distribution pour qu'ils adoptent ses technologies de TV interactive en échange d'une participation dans leur capital; c'est la cas de DirecTV, AT&T ou UPC en Europe. Microsoft essaye ainsi de constituer un standard de fait en matière de TV interactive; mais la stratégie a ses limites, comme l'a montré le rejet par AT&T de la set-top box fabriquée par la firme de Bill Gates .

Face à Microsoft, des dizaines d'intervenants plus petits tentent non pas de devenir le Roi du Salon mais simplement de se faire une place au soleil. On pourra citer OpenTV qui propose un format commun de TV interactive, les fabriquants de set-top box Motorola ou Pace technology; Replay TV et Tivo qui proposent un service de magnétoscope virtuel; Viacess qui sécurise les flux vidéos... La plupart de ces intervenants tentent de s'allier pour contrer à la fois Microsoft et les entreprises qui développent un système propriétaire et fermé comme Canal + ou AOL. Rupert Murdoch semble constituer un allié de poids, son groupe a toujours privilégié l'utilisation de systèmes standards pour ses opérateurs satellites : BskyB utilise déjà les services de Tivo et d'OpenTV.

 

 

 

News Corp

 


 

DirecTV

 


 

AT&T Broadband

 

 

 

Microsoft

 


 

TiVo

 


 

Sony

 


 

OpenTV

 


 

Motorola

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